Page 3 - Rapport silure Rhône 2016
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Résumé :
Entre 1988 et 2015, les résultats de 2616 sorties d’un guide de pêche professionnel spécialisé sur le
silure du grand bassin versant du Rhône ont été consignés. Les captures de plus de 17000 individus y sont
recensées, se répartissant entre la Saône aval, le Rhône moyen et le Rhône aval. Les contenus stomacaux de
3883 spécimens ont été observés, et 720 poissons ont fait l’objet d’un marquage individuel pour étudier leurs
déplacements. Les données de la Fédération de Pêche du département du Rhône concernant le silure issues des
pêches électriques depuis 2009, des enquêtes panier auprès des pêcheurs à la ligne depuis 2011 ainsi que d’une
station de vidéo-comptage en service depuis 2013 sont compilées et analysées. D’après la bibliographie
disponible, ce jeu de données démographiques et comportementales acquis dans le long terme constitue
actuellement le plus important volume d’information recueilli sur le silure glane dans son milieu naturel.

L’analyse des Captures Par Unité d’Effort (CPUE) indique une forte progression du nombre de prises
par heure de 1988 à 1994, puis un déclin relativement rapide jusqu’en 1997 ; cette baisse des CPUE se poursuit
de manière plus lente et progressive jusqu’en 2015, pour retrouver un niveau équivalent à celui de la fin des
années 1980. Ce scénario est identique et presque concomitant sur les trois grands secteurs étudiés, avec une
année d’avance sur la Saône colonisée plus précocement. Les résultats des dernières années sont cohérents
avec les données issues des suivis annuels menés sur le Rhône et la Saône à la fois par pêche électrique et par
captures des pêcheurs à la ligne.

Les contenus stomacaux des silures indiquent une consommation de taxons très variés, incluant des
ordures ménagères et de la nourriture humaine dans la traversée de l’agglomération lyonnaise. Les espèces
invasives (corbicules, écrevisses américaines, poissons-chats…) sont les plus fréquentes dans les contenus
stomacaux. Les espèces piscicoles les plus souvent consommées sont les brèmes, le poisson-chat, le silure lui-
même, le mulet, carpes et carassins accompagnées de 12 autres taxons. Les poissons constituent l’essentiel de
la biomasse ingérée. La répartition entre espèces varie selon les secteurs étudiés. Sur la Saône, les brèmes
dominent toujours, suivies du silure et de la carpe ; sur le Rhône moyen, le silure devient la première biomasse
piscicole ingérée (32%), suivi des brèmes et de la carpe ; sur le Rhône aval, le mulet constitue 67% de la
biomasse piscicole ingérée suivi par le carassin et la carpe, le silure arrivant ensuite. Le régime alimentaire des
spécimens de moins de 110cm est orienté davantage sur les mollusques et crustacés, tandis que les grands
silures (taille >170cm) délaissent ces proies pour les poissons, en particulier leurs propres congénères. Le
cannibalisme est en effet très développé au-delà de cette taille et les silures consommés font régulièrement entre
30 et 50% de la longueur de leur prédateur. La fourchette de tailles vulnérables à ce phénomène semble être
comprise entre 50cm et 110cm.

La taille maximale des silures capturés semble avoir atteint un pallier depuis le début des années
2000 à 240cm ; la proportion de spécimens de plus de 200cm semble se stabiliser autour de 5% depuis 2009. En
revanche, depuis leur apparition au début des années 1990, la proportion de grands silures de plus de 170cm au
sein des populations suivies semble toujours en progression et avoisine les 10% actuellement. On observe en
parallèle une augmentation de la taille moyenne individuelle de la population au cours des 12 dernières années
(+0.9cm/an).

Les 94 évènements de recaptures de silures tatoués, pour certains plus de 10 ans après leur marquage
(en moyenne 3 ans), permettent de constater une exceptionnelle fidélité de site chez cette espèce. Les distances
parcourues sont pour l’essentiel comprises entre 1 et 2 kilomètres. Sur 19 poissons déportés volontairement
jusqu’à 18km en aval et 4 km en amont de leur lieu de capture, 17 ont regagné leur secteur d’origine. Si la
sédentarité est la règle, quelques exceptions ont parcouru jusqu’à 16km en direction de l’amont. Les spécimens
les plus jeunes (60-110cm) sont également les plus mobiles et les déplacements sont dirigés vers l’amont dans
75% des cas.

La croissance des individus, très variable, est estimée en moyenne à 8.9cm/an entre 110cm et 140 cm,
pour 3.9cm/an au-delà d’une taille de 170cm. Les individus de 200cm ont sans doute entre 20 et 25 ans. Cette
grande longévité additionnée d’une remarquable fidélité de site implique probablement des interactions entre
individus se côtoyant parfois pendant plusieurs décennies. La possibilité d’une fidélité à un groupe paraît
envisageable, d’autant plus que les silures se rassemblent régulièrement et montrent des comportements qui
pourraient être à la base d’une identification entre individus d’une même troupe. Les jeunes adultes ou sub-
adultes, les plus vulnérables au cannibalisme, semblent contraints à migrer pour trouver un « groupe d’accueil »
et paient un lourd tribu lors de cette phase en particulier au moment de la reproduction, ainsi qu’au moment des
regroupements hivernaux.

En termes de gestion piscicole, le contrôle de l’abondance des populations de silures semble de toute
évidence être réalisé par les grands silures eux-mêmes. Nos résultats suggèrent de protéger ces tranches d’âge
en tout premier lieu si l’on souhaite contenir les effectifs globaux de l’espèce. La conservation de ces grands
spécimens pourrait s’avérer stratégique étant donné qu’il faut en moyenne une quinzaine d’années avant de
produire un silure de 170cm susceptible d’exercer un rétrocontrôle efficace sur sa propre population.

La longévité et le cannibalisme du silure, traits écologiques inhabituellement développés pour une
espèce piscicole française, impliquent une adaptation des préconisations de gestion à ces paramètres
démographiques atypiques.

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